Luttes et confits dans le Christianisme primitif comparés à ceux qui secouèrent l'Islam primitif

 

Dans le second chapitre de son ouvrage, le Dr Bucaille s'étend sur les luttes internes qui ont secoué la jeune communauté chrétienne et en tire la conclusion que ces dissensions ont pu porter atteinte à l'intégrité du message de l'Evangile. On peut résumer son argumentation de la manière suivante :

1. Les querelles ont opposé un groupe de chrétiens partisans de la doctrine de Paul à un autre groupe, celui des judéo-chrétiens, à la tête duquel se trouvaient les apôtres Pierre et Jean, ainsi que Jacques, le frère de Jésus.

2. Plusieurs des livres de l'Evangile-Nouveau Testament ne sont que le résultat de ces confits.

3. Les judéo-chrétiens furent finalement les perdants ; leur influence décrut et leurs ouvrages, jugés apocryphes par l'Eglise, furent cachés ou supprimés.

Voici les propos du Dr Bucaille pour étayer sa théorie :

1. "Entre le moment où Jésus quitta cette terre vers l'année 30 et jusqu'à la moitié du second siècle, soit pendant plus d'un siècle, on assista à une lutte entre deux tendances, entre ce que l'on peut appeler le Christianisme paulinien et le judéo-christianisme ; ce n'est que très progressivement que le premier supplanta le second et que le paulinisme triompha du judéo-christianisme."(1)

Puis il affirme :

"Le judéo-christianisme représente, jusqu'en 70, la majorité de l'Eglise et 'paul reste un isolé'. Le chef de la communauté est alors Jacques, parent de Jésus. Avec lui il y a Pierre (au début) et Jean. Jacques peut être considéré comme la colonne du judéo-christianisme, qui reste délibérément engagé dans le judaïsme en face du Christianisme paulinien."(2)

Le Dr Bucaille poursuit, à la page suivante :

"Figure la plus discutée du Christianisme, considéré comme traître à la pensée de Jésus par la famille de celui-ci et par les apôtres restés à Jérusalem autour de Jacques, Paul a fait le Christianisme aux dépens de ceux que Jésus avait réunis autour de lui pour propager ses enseignements."(3)

Paul est donc considéré comme traître à la pensée de Jésus. Cette présentation des faits donne au lecteur non versé dans la connaissance de la Bible et des faits réels l'impression que les chrétiens ont changé, altéré, supprimé et caché le véritable Evangile. La seconde étape de l'argumentation de Bucaille, qui prétend que plusieurs écrits du Nouveau Testament sont le résultat de cette lutte, est développée de la façon suivante :

2. "Mais, pour ce qui concerne les Evangiles, il y a fort à parier que si l'atmosphère de lutte entre communautés créée par la dissidence paulinienne n'avait pas existé, nous n'aurions pas les écrits que nous avons aujourd'hui. Apparus dans la période de lutte intense entre les deux communautés, ces "écrits de combat", comme les qualifie le R.P.Kannengiesser, ont émergé de la multitude des écrits parus sur Jésus..."

Le Dr Bucaille en arrive logiquement à son troisième point :

3. "... Lorsque le Christianisme de style paulinien définitivement triomphant constitua son recueil de textes officiels, le "Canon", qui exclut et condamna comme contraires à l'orthodoxie tous autres documents qui ne convenaient pas à la ligne choisie par l'Eglise."(4)

Il est certes vrai que certains des écrits du Nouveau Testament portent la marque de luttes. Mais il faut néanmoins se poser deux questions : le Dr Bucaille a-t-il raison d'affirmer que ce combat opposait Paul aux autres disciples de Jésus ? L'existence de luttes prouve-t-elle que l'Evangile-Nouveau Testament n'a pas pu être écrit par révélation ?

Pierre, Jean et Jacques étaient-ils en désaccord profond avec Paul ?

Les passages suivantes tirés de l'Evangile-Nouveau Testament, prouvent que ces hommes étaient d'authentiques amis et en parfait accord doctrinal.

A. Dans sa lettre aux Galates, Paul déclare :

"Ensuite, quatorze ans plus tard, je montai de nouveau à Jérusalem avec Barnabas... J'y montai par suite d'une révélation. Je leur exposai l'Evangile que je prêche parmi les païens... de peur de courir ou d'avoir couru en vain."

" Jacques (le frère de Jésus), Pierre et Jean, considérés comme des colonnes, nous donnèrent la main droite à Barnabas et à moi, en signe de communion... nous devions seulement nous souvenir des pauvres..." (2.1-2, 9-10).

B. Actes 21.17-20 décrit la fin du dernier voyage de Paul à Jérusalem, environ 5 ans avant sa mort:

"A notre arrivée à Jérusalem, les frères nous reçurent avec joie. Le lendemain, Paul se rendit avec nous chez Jacques (le frère de Jésus) et tous les anciens y vinrent aussi. Après les avoir salués, il (Paul) se mit à raconter en détail ce que Dieu avait fait au milieu des païens par son ministère. En l'écoutant, ils glorifiaient Dieu."

C. Enfin, dans la seconde des deux lettres que Pierre écrivit lui-même, nous lisons:

"Considérez que la patience de notre Seigneur est votre salut, comme notre bien-aimé frère Paul vous l'a aussi écrit selon la sagesse qui lui a été donnée. C'est ce qu'il fait dans toutes les lettres où il parle de ces sujets, et où se trouvent des passages difficiles à comprendre, dont les personnes ignorantes et mal affermies tordent le sens, comme elles le font du reste des Ecritures, pour leur propre perdition" (2 Pierre 3.15-16).

Ces versets nous apprennent que Paul s'est rendu à Jérusalem pour vérifier si sa prédication était conforme à celle de Pierre, de Jean et de Jacques. Ils nous apprennent qu'à la fin de sa vie, Paul entretenait des relations cordiales avec Jacques. Ils nous apprennent encore que Pierre considérait les écrits de Paul comme "Ecriture".

Galates 2.11-16 rapporte une réprimande adressée par Paul à Pierre, mais le texte cité plus haut fait état d'une réconciliation entre les deux hommes.

Pourquoi le Dr Bucaille passe-t-il ces versets sous silence ? Si j'omettais des versets aussi importants que ceux-ci lorsque je cite le Coran, est-ce que cela n'équivaudrait pas à changer le contexte par élimination de preuves ? C'est comme si j'affirmais qu'il y avait entre Abou Bakr, Omar et Uthman des dissensions profondes, alors que le Hadith prétend le contraire.

Assurément il y eut des luttes. Mais elles opposaient Paul, Pierre, Jacques et Jean d'un côté aux chrétiens judaïsants de l'autre.

L'impact de cette lutte sur l'Evangile-Nouveau Testament

Le livre des Actes et les lettres de Paul présentent trois niveaux d'affrontement.

II y a d'abord l'affrontement entre Paul et les païens, adorateurs d'idoles. D'après Actes 19, lorsque des personnes avaient accepté Christ comme leur Sauveur, suite à la prédication de Paul, elles "abandonnaient les idoles mortes pour servir le Dieu vivant". Elles cessaient d'acheter des statues et autres images de métal. C'est la raison pour laquelle les orfèvres d'Ephèse se mirent en colère, provoquèrent une gigantesque émeute et contraignirent Paul à quitter la ville.

Il y avait ensuite affrontement entre les apôtres et ceux des juifs qui refusaient l'Evangile. Actes 12 rapporte la mise à mort de Jacques, le frère de Jean, et l'emprisonnement de Pierre. Dans Actes 14.19 il est dit :

"Puis survinrent d'Antioche et d'Iconium des juifs qui gagnèrent les foules, lapidèrent Paul et le traînèrent hors de la ville, pensant qu'il était mort."

Il y avait enfin affrontement entre Pierre, Jean et Paul d'un" côté, et les judéo-chrétiens de l'autre. C'est essentiellement à ce troisième type de conflit que fait allusion le Dr Bucaille.

Le lecteur se demande certainement ce que recouvre l'expression "judéo-chrétien". Pierre, Jacques, Jean et tous les disciples n'étaient-ils pas des juifs devenus chrétiens ? Quelle est alors la différence entre ces chrétiens (d'origine juive) et les judéo-chrétiens ?

Que croyaient les judéo-chrétiens ?

Contrairement à tout ce que nous aurions pu imaginer, nous nous apercevons qu'ils acceptaient la doctrine de l'Evangile.

Dans son livre, le Dr Bucaille se réfère maintes fois aux travaux du Cardinal Daniélou, sur les judéo-chrétiens. Il écrit notamment à la page 31 :

"Le Christianisme, initialement judéo-christianisme, si bien étudié... par les auteurs modernes comme le Cardinal Daniélou, avant de subir sa transformation sous l'influence de Paul, a très normalement reçu cet héritage de l'Ancien Testament (Torah )."

A la page 62 le Dr. Bucaille écrit :

"En reprenant des travaux antérieurs, il (le Cardinal Daniélou) en retrace l'histoire et nous permet de situer l'apparition des Evangiles dans un contexte bien différent de celui qui ressort des exposés destinés à la grande vulgarisation."

Ces extraits donnent l'impression que Daniélou aurait découvert un Evangile différent au sein de la communauté judéo-chrétienne. Mais si nous nous référons aux travaux personnels du Cardinal Daniélou dans leur contexte, nous nous rendons compte qu'il en tire des conclusions tout à fait opposées.

A la fin de son oeuvre monumentale Théologie du Judéo-Christianisme(5) dans laquelle le Cardinal examine tous les documents disponibles jusqu'à 1964, date de parution de son livre, il déclare :

" Nous nous étions proposé, au début du livre, de poursuivre une enquête à travers les documents qui subsistent de la période judéo-chrétienne de l'Ancienne Eglise, afin de voir si les données qu'ils présentent ont suffisamment de traits communs pour permettre de parler d'une théologie judéo-chrétienne."

" La théologie judéo-chrétienne nous est ainsi apparue comme une théologie de l'histoire, mais cette théologie de l'histoire a un caractère cosmique... La préoccupation essentielle des théologiens judéo-chrétiens est en effet de montrer que les événements de la vie du Christ et de l'Eglise sont la réalisation du dessein éternel de Dieu."

"L'action du Verbe remplit tous les espaces spirituels. Elle s'étend du septième ciel aux enfers. Elle concerne ainsi la totalité des créatures. Ceci s'est exprimé particulièrement par la symbolique de la croix, qui, à côté de sa relation à l'action créatrice, en tant que pivot de l'histoire a un symbolisme d'universalité et marque l'extension cosmique de l'action du Verbe." (p.434-435).

"Nous constatons en effet que la théologie judéo-chrétienne est bien une théologie au sens propre du mot, c'est-à-dire une tentative pour construire une vision d'ensemble à partir des données qui constituent les événements divins de l'Incarnation et de la Résurrection du Verbe. La théologie de Paul et de Jean est à bien des égards l'expression d'une spéculation commune qui lui est antérieure et dont les écrits judéo-chrétiens sont une autre attestation" (p. 433).

Le Cardinal Daniélou ne se contente pas d'affirmer que les judéo-chrétiens avaient la même foi que Paul en ce qui concerne Jésus et Dieu, mais à dix reprises au moins dans son livre, il cite Paul pour illustrer la foi des judéo-chrétiens.

Le désaccord entre les Apôtres et les judéo-chrétiens

Puisque le différend ne portait pas sur la foi en Jésus comme Sauveur, quelle pouvait bien être la cause d'une dissension si vive ? D'après l'Evangile-Nouveau Testament, le désaccord surgit au moment où des païens idolâtres se convertirent au christianisme.

Car alors se posa d'une manière aiguë la question de savoir si, outre l'acceptation de Christ comme Sauveur, il fallait imposer la circoncision et exiger le respect des lois religieuses cérémonielles de la Torah. En d'autres termes: pour devenir un chrétien accompli, fallait-il d'abord devenir Juif et se faire circoncire ? C'est de là qu'est né le terme " Judéo-Chrétien".

Paul dit : " Jésus a payé pour chacun de nos péchés. Son salut est gratuit. Il est accordé par pure grâce. Un point, c'est tout!".

Les Judéo-Chrétiens rétorquent : " Il est vrai que Jésus a payé pour nos péchés, mais chacun doit désormais obéir à la loi".

L'essentiel de leur enseignement est résumé dans Actes 15.1 :

"Quelques hommes, venus de la Judée. enseignaient les frères et disaient : Si vous ne vous faites pas circoncire selon la coutume de Moïse, vous ne pouvez être sauvés (même si vous avez accepté Jésus le Messie comme Sauveur)."

C'est cette divergence qui a amené Paul et Barnabas a se rendre a Jérusalem pour en discuter avec les autres apôtres.

Au cours de la discussion, Pierre déclara :

"Pourquoi tentez-vous Dieu, et mettez-vous sur le cou des disciples un joug que nos pères et nous-mêmes nous n'avons pas été capables de porter ? Mais c'est par la grâce du Seigneur Jésus que nous croyons être sauvés de la même manière qu'eux " (Actes 15.10-11).

On pourrait paraphraser le témoignage de Pierre ainsi : "Non, nous autres Juifs, nous ne sommes pas sauvés parce que nous sommes Juifs. Nous sommes sauvés pour avoir accepté Jésus comme Sauveur et pour être devenus chrétiens. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire que les païens qui se tournent vers Christ deviennent d'abord Juifs." Telle fut d'ailleurs la conclusion de cette conférence. Les chrétiens de souche païenne n'eurent pas à se faire circoncire.

L'argumentation détaillée de cette question fait l'objet de la lettre de Paul aux Galates et d'une partie du livre des Actes (chapitres 10-15). On s'aperçoit que sur ce point précis, Jacques, le frère de Jésus, et Pierre étaient en plein accord avec Paul. Les judéo-chrétiens refusèrent d'appliquer cette décision dont ils rendaient Paul responsable. C'est pourquoi ils le persécutèrent comme le principal propagateur de cette conception chrétienne.

L'Islam et les révélations antérieures

La question du lien entre l'Islam et les révélations antérieures ne semble pas s'être posée aux premiers musulmans, et je me demande pourquoi. On pourrait penser qu'à moins que le Coran n'ait abrogé un commandement de la Torah ou de l'Evangile, ce commandement, ou cet enseignement, demeure valable pour les musulmans.

Ainsi, pourquoi les musulmans ne pratiquent-ils pas la circoncision de leurs fils le 8ème jour, comme Dieu le demande à Abraham ? Genèse 17.9-12 déclare en effet :

"Dieu dit à Abraham... Voici comment vous garderez l'alliance que je traite avec vous et avec ta descendance après toi : tout mâle parmi vous sera circoncis. Vous vous circoncirez comme signe d'alliance entre vous et moi. A l'âge de huit jours, tout mâle parmi vous sera circoncis, dans toutes vos générations, qu'il soit né dans ta maison, ou qu'il soit acquis à prix d'argent."

Le Coran clame bien haut qu'il remonte à la vraie religion d'Abraham. Et cependant, la plupart des musulmans circoncisent leurs fils quand ils sont plus âgés, entre trois et six ans. Cette pratique semble aller à l'encontre de l'ordre précis et clair donné par Dieu à Abraham de circoncire les garçons à l'âge de huit jours.

Quoi qu'il en soit, même si nous imaginons deux groupes de musulmans opposés sur cette question, l'un affirmant : " Nous devons pratiquer la circoncision le huitième jour comme Dieu l'a ordonné à Abraham" et l'autre rétorquant : "Non, ce n'est plus nécessaire", nous n'aurions pas un reflet exact du conflit qui secoua l'Eglise primitive. Car la discussion portait sur un sujet autrement plus important.

Sommes-nous sauvés par nos efforts à garder la loi inscrite dans la Torah ou dans le Coran ?

Ou sommes nous sauvés uniquement par la grâce et la miséricorde de Dieu qui a pavé la dette de nos péchés par Christ ?

Livres apocryphes

En dernier lieu, nous allons examiner la question des livres apocryphes mentionnés au troisième point de la théorie du Dr Bucaille. Le mot "apocryphe" vient du grec apokryphos qui signifie "caché". Le Dr Bucaille déclare que ces documents furent appelés " apocryphes " parce que l'Eglise les cacha. Voici ce que dit la note en bas de la page 62 :

"Remarquons que tous ces écrits vont être plus tard jugés apocryphes, c'est-à-dire comme devant être cachés, par l'Eglise triomphante...".

Il est vrai que le mot "apocryphe" signifie "caché" ; mais ce n'est pas parce que l'Eglise a caché les faux documents.

Au cours des deux premiers siècles de notre ère, le mot apokryphos (secret) fut employé par un groupe d'hommes connus sous le nom de gnostiques pour désigner leurs écrits. Par exemple, l'un de leurs livres s'intitule Apocryphe de Jean, ou "Secret de Jean". Les gnostiques prétendaient avoir une connaissance "apocryphe" ou secrète que d'autres ne possédaient pas : ils ajoutaient que le salut résidait dans la connaissance révélée par les maîtres gnostiques, dont le plus grand fut Jésus.

Le gnosticisme s'oppose à la fois au Christianisme et à l'Islam, en ridiculisant l'idée d'un "dieu créateur" qualifié d'aveugle et dépendant d'une divinité plus élevée, plus purement spirituelle. Dans l'Apocryphe de Jean par exemple, le dieu créateur est décrit comme faible et "impie dans sa folie... car il dit : `Je suis Dieu et il n'y a pas d'autres dieux devant moi' (allusion à Esaïe 46.9), car il ignore sa force et son origine."(6)

Plus tard, au cours du 4e siècle, le mot "apocryphe" servait à désigner des livres qui ne faisaient pas l'objet d'une lecture publique dans les églises. C'est seulement par déduction que le mot a pris sa signification moderne (c'est-à-dire "fictif"). Ainsi Eusèbe, le grand historien de l'Eglise primitive, parle de certains "livres soi-disant secrets" (apocryphes) comme des faux écrits par des hérétiques(7).

Il n'existe pas la moindre preuve en faveur de l'affirmation du Dr. Bucaille qui voudrait que les livres fussent appelés "apocryphes" parce que l'Eglise les aurait cachés.

Exemples d'écrits apocryphes judéo-chrétiens

Il est utile de préciser ici qu'un livre déclaré apocryphe par l'Eglise n'est pas nécessairement en accord avec les doctrines de l'islam.

Il existait un écrit judéo-chrétien intitulé Evangile de Pierre. Il affirmait clairement que Jésus était le Verbe de Dieu, mort sur la croix pour nos péchés. Mais cet écrit fut rejeté par l'Eglise, d'abord parce qu'il n'avait pas Pierre pour auteur et ensuite parce qu'il niait la vraie humanité de Jésus en prétendant que, sur la croix. Jésus n'avait ressenti aucune souffrance(8). De ce faux évangile, Daniélou dit que "son but était de mettre en puissant relief le caractère divin de la personne de Christ"(9). Il est peu probable que l'Islam ait pu approuver cet effort !

Un autre écrit apocryphe s'intitulait Les Actes de Paul. Il confirmait pleinement la doctrine chrétienne de la mort expiatoire de Jésus pour nos péchés, sur la croix. Mais il déclarait aussi: "Nul n'aura part à la résurrection, à moins d'être demeuré chaste et sans souillures charnelles", ce qui signifiait abstinence totale même pour des personnes mariées. L'Eglise a rejeté cet écrit parce que son enseignement, sur ce point, allait à l'encontre de la doctrine chrétienne (il s'oppose également à l'enseignement coranique). L'auteur de cet ouvrage, qui reconnut avoir écrit un faux, en empruntant le nom de Paul, fut destitué de son rang de chef de l'Eglise à cause de ce mensonge(10). L'interdiction de rapports sexuels à l'intérieur du mariage se retrouve dans deux autres ouvrages judéo-chrétiens: L'Evangile de Thomas et L'Evangile des Egyptiens(11).

Je voudrais encore mentionner, pour terminer ce sujet, L'Epître judéo-chrétienne de Barnabas, écrite vers l'an 120. Le contenu de cette oeuvre fut tenu en estime par de nombreux chrétiens des 2e et 3e siècles. Bien que sa doctrine de Christ soit orthodoxe, l'épître fut déclarée apocryphe. Pourquoi? D'abord par manque de preuve que son auteur fût bien Barnabas; ensuite parce qu'il attribue la Loi de Moïse aux ruses d'un démon(12), ce qui contredit clairement les paroles de Jésus et aussi les affirmations du Coran.

Bucaille mentionne, et Daniélou cite chacun de ces ouvrages judéo-chrétiens. Il est évident, d'après ces exemples, que malgré une christologie en grande partie orthodoxe, ces écrits furent rejetés de la lecture publique dans les églises (mais non cachés) parce qu'ils contenaient d'autres doctrines fausses, et parce qu'ils n'étaient pas revêtus de l'autorité des apôtres de Jésus.

Hadiths faibles

Amis musulmans, n'avez-vous pas rencontré un problème analogue avec vos hadiths dont certains ont été déclarés "faibles" ? Lorsqu'un hadith est qualifié de "faible", ne dites-vous pas : "C'est parce que nous ne croyons pas que son contenu ait véritablement été dit par Muhammad ou l'un de ses compagnons" ? La doctrine qu'il renferme peut être orthodoxe, mais vous mettez en doute qu'elle soit authentique ou "forte". C'est exactement ce que nous autres, chrétiens, exprimons en déclarant tel livre "apocryphe", ou "non canonique", ou "non authentique".

Conclusion

L'examen des trois points énoncés par le Dr. Bucaille a révélé leur fragilité et leur faiblesse. Nous ne disposons d'aucune preuve pour affirmer que les conflits religieux du premier siècle de notre ère aient empêché le Saint Esprit de Dieu de guider ses Prophètes et ses Apôtres. Car, après tout, il est le Dieu Tout-Puissant, créateur des cieux et de la terre. Quel homme pourrait modifier Sa volonté ou Sa parole ?

De plus, la thèse du Dr. Bucaille s'oppose manifestement au Coran. Nous avons vu, au chapitre I de la deuxième section, que le Coran affirme, dans la Sourate 61.14 (Sourate du Rang, Al-Saff ) de l'an 3 de l'Hégire, que

"... Un groupe des fils d'Israël crut, un groupe fut incrédule. Nous avons soutenu contre leurs ennemis ceux qui croyaient et ils ont remporté la victoire" (trad. D. Masson).

La Sourate du Fer (Al-Hadîd) 57.27, de l'an 8 de l'Hégire, nous a appris qu'il existait d'authentiques croyants chrétiens lorsque furent fondés les ordres monastiques, vers 300, donc bien longtemps après la disparition du judéo-christianisme. En conséquence, d'après le Coran, le Christianisme qui prévalut ne pouvait pas avoir été altéré par les luttes du premier siècle, comme le laissait pourtant entendre le Dr Bucaille.

Luttes lors de la naissance du Coran

Si nous devions accepter l'idée que des luttes et des conflits ont pu falsifier la révélation biblique, qu'en est-il du Coran ? Lorsque le Coran a été donné, n'y avait-il pas des luttes entre les musulmans et les mecquois ? Entre les musulmans et les juifs ? Entre Muhammad et d'autres qui se proclamaient musulmans et même prophètes ? Aux trois questions, il n'y a qu'une seule réponse : Oui !

Le conflit qui a opposé les musulmans aux mecquois n'est-il pas mentionné dans le Coran ? Nous lisons en effet dans la Sourate de la Famille d'Amram (Al `Imrân) 3.123 une allusion à la bataille qui s'est déroulée à Badr :

"Dieu vous a bien donné la victoire à Badr, alors que vous étiez humbles. Craignez Dieu donc. Peut-être serez-vous reconnaissants !" Dans cette même Sourate, aux versets 140 à 180, le Prophète réprimande et encourage les croyants en évoquant ce qui s'était passé lors de la bataille de Uhud.

A propos des conflits qui ont opposé Muhammad aux juifs, nous avons examiné au chapitre I de la deuxième section près de 40 passages qui traitent des luttes entre les musulmans et les juifs. Prenons un seul exemple, celui que donne la Sourate des Bestiaux (Al-An`âm) 6.124, de la période mecquoise tardive. Ce texte rapporte la requête formulée par les juifs en faveur d'un signe :

"Et lorsqu'un signe leur vient, ils disent : 'Nous ne croirons que quand on nous aura donné la pareille de ce qui a été donné aux messagers de Dieu."

Le troisième type de conflit, entre Muhammad et d'autres arabes qui se proclamaient musulmans, se rapproche beaucoup des luttes qui ont secoué l'Eglise primitive et qui opposaient les chrétiens aux judéo-chrétiens.

Nous citerons l'exemple de Musailima, venu à la tête d'une délégation de sa tribu pour voir Muhammad, en l'an 9 de l'Hégire. Il professait l'Islam. L'année suivante il proclama être un prophète du seul vrai Dieu et commença à publier des révélations écrites en imitation de celles du Coran. Abu' I-Faraj en a conservé l'exemple suivant :

"Maintenant Dieu a montré sa grâce envers celle qui attendait un enfant, et il a engendré d'elle l'âme qui siège entre le péritoine et les intestins."

Il écrivit même à Muhammad en commençant sa lettre par ces mots : "De Musailima, l'Envoyé de Dieu à Muhammad, l'Envoyé de Dieu." Muhammad lui répondit en le qualifiant de "Musailima, le Menteur."

Musailima n'en continua pas moins à prendre de l'importance. Son ascension prit fin avec sa mort dans la défaite de son armée vaincue par le Général Khalid, en l'an 11 de l'Hégire, soit un an après la mort de Muhammad(13).

Le Coran a-t-il été modifié par suite de ce conflit ? La révélation a-t-elle été abolie ou infléchie à cause de cette lutte ? Aucun musulman n'admet une telle conclusion. Le Coran affirme justement le contraire ! Il affirme que des luttes et des conflits ont surgi chaque fois qu'un apôtre a été envoyé vers un peuple. C'était le cas du temps de Moïse avec les Bani Israël, et de Salih avec les Thamud.

Luttes au sein de l'Islam après la mort de Muhammad

Musailima ne fut pas la seule personne à revendiquer le titre de prophète. Au cours de la période qui suivit immédiatement la mort de Muhammad, trois faux prophètes et une prophétesse réunirent un nombre croissant de personnes autour de leur idéal. Au nord, à l'est et au sud de la péninsule, des tribus entières abjurèrent la foi nouvellement adoptée, et la ville de Médine elle-même fut attaquée(14). C'est durant cette période que Abou Bakr ordonna à Zaïd Ibn Thâbit de rassembler le premier recueil du Coran.

Si nous appliquions au Coran les théories que le Dr Bucaille applique à l'Evangile, nous devrions affirmer que tous ces faux prophètes, ces guerres et ces rébellions ont, d'une certaine manière, porté atteinte à la crédibilité du Coran. Nous pourrions même aller plus loin encore et regretter la disparition des paroles de Musailima et des autres prophètes, paroles déclarées apocryphes par la nation musulmane "bien qu'elles aient eu un intérêt historique certain".

Les années suivantes furent marquées par d'autres luttes. Omar, le second Calife, fut assassiné par un esclave persan, nommé Firoz, en 23 de l'Hégire. Moins de 25 ans après la mort de Muhammad, en l'an 35 de l'Hégire des musulmans malheureux pénétrèrent dans le quartier général de Uthman, le troisième Calife, et le blessèrent mortellement.

Ali, le gendre du prophète, fut désigné pour succéder au précédent Calife, mais il rencontra une vive opposition. Aisha, la veuve du Prophète, aidée de deux hommes, Talha et Zubair, rassembla des troupes pour combattre Ali. En octobre 656 (an 35 de l'Hégire) Ali sortit de Médine à la tête d'une armée musulmane pour réprimer une insurrection civile fomentée par des frères musulmans. C'était le premier combat fratricide. Quelques mois plus tard, Ali vainquit le triumvirat Aisha-Talha-Zubair à la "Bataille du Chameau". Les deux révoltés furent tués, et Aisha dut retourner à La Mecque.

On peut donner une dimension plus grande et une portée plus significative à ces combats si on évoque les liens qui unissaient les différents protagonistes.

Ali était un cousin de Muhammad ; ce dernier l'avait d'ailleurs adopté comme son fils. Il fut l'un des premiers adeptes de Muhammad et épousa Fatima, la fille du Prophète.

Zubair était, lui aussi, un cousin de Muhammad, l'un des premiers fidèles, l'un des dix, appelés a1-`Ashara al-Mubashshara, auxquels le Prophète avait garanti l'entrée au Paradis.

Talha, petit neveau du premier Calife, Abou Bakr, était un compagnon distingué. Ce terme servait à désigner, par le Prophète lui-même, ceux qui avaient vu de leurs propres yeux le Prophète, qui avaient embrassé l'Islam et avaient accompagné Muhammad. Il sauva la vie du Prophète lors de la bataille de Uhud et fut également l'un des a1-`Ashara a1-Mubashshara, assurés d'entrer dans le Paradis(15).

Ali fut assassiné en 661 (40 de l'Hégire), par l'un des Kharijites, groupe de musulmans révoltés contre lui.

Ce bref aperçu de l'histoire révèle la réalité des luttes qui secouèrent l'Islam naissant. Seul un Chiite peut poser la question : "Y a-t-il un seul musulman, à l'exception des Chiites, qui soit prêt à dire que ces luttes ont introduit un quelconque changement dans le Coran ? "(16)

Certainement pas ! Car une telle conclusion semblerait saugrenue.

En vertu de quoi, alors, le Dr Bucaille et d'autres avant et après lui peuvent-ils affirmer que le Saint-Esprit n'a pas pu guider Paul, ou Pierre, ou Jacques, même quand ils étaient eux-mêmes engagés au plus fort des combats ?

Résumé et conclusion sur l'évolution du Coran

Nous venons de procéder à l'étude assez complète du développement historique du Coran. Nous sommes parties de la première prédication de Muhammad 13 ans avant l'Hégire ; nous avons suivi le cheminement du livre jusqu'à l'une des copies les plus anciennes du Coran, datée de l'an 150 de l'Hégire. Le diagramme suivant illustre simplement la formation du Coran et son évolution.



Au terme de ce parcours, il est bon de résumer, si vous êtes musulman, ce que vous croyez concernant l'origine et la transmission du Coran :

Bien que vous ne possédiez pas l'exemplaire original du Coran, vous CROYEZ que Zaïd et Omar ont rassemblé le Coran tel qu'il leur avait été donné.

Vous CROYEZ que le rejet du verset sur la lapidation, d'après Omar l'absence des deux Sourates que possédait Ubai, et la disparition de tout ce qui était caché, au moment où Uthman fit brûler les exemplaires originaux n'ont eu aucun effet significatif sur la doctrine coranique.

Vous CROYEZ que ceux qui entreprirent la copie du Coran le firent avec soin ; et lorsque des erreurs se glissaient dans leur travail, à cause de la nature humaine des copistes, vous estimez que ces variantes pouvaient être repérées par simple comparaison avec d'autres copies.

Vous CROYEZ que les hadiths collectionnés par Muslim et Bukhari, et qui racontent la vie de Muhammad et la formation du recueil coranique, sont fondamentalement vrais et fiables.

Vous CROYEZ que les premiers musulmans n'auraient pas donné de leur argent, ni de leur temps, et n'auraient pas été prêts à sacrifier leur vie pour une cause qu'ils savaient être mensongère.

En résumé, vous CROYEZ que les preuves en faveur d'une transmission sérieuse et minutieuse du Coran sont si grandes et si nombreuses que vous pouvez AVEC UNE TOTALE CERTITUDE vous appuyer sur son contenu.

 



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1. La Bible, le Coran et la Science, pp.61-62. [retourner au texte]

2. Ibid., p.62. Bucaille cite en partie, Daniélou. [retourner au texte]

3. Ibid., p.63. [retourner au texte]

4. Ibid., p.64. [retourner au texte]

5. Cardinal Daniélou, Théologie du Judéo-Christianisme, Desclée & Cie, éditeurs. [retourner au texte]

6. L'Apocryphe de Jean de Nag Hammadi, Codex II, p.11, lignes 18-22, cité par le revue The Gnostics Gospels, d'Eliane Pagels, Randon House. [retourner au texte]

7. Adapté de l'Encyclopedia Britannica. [retourner au texte]

8. International Standard Bible Encyclopedia (ISBE), Eerdmans, Grand Rapids, 1955, p.197. [retourner au texte]

9. Daniélou, op.cit., p.21. [retourner au texte]

10. ISBE, op.cit., pp.188-190. [retourner au texte]

11. Daniélou, op.cit., p.24. [retourner au texte]

12. Early Christian Writings, Penguin Books, Baltimore, 1972, pp.190 et 205. [retourner au texte]

13. Adapté de Hughes, op.cit., p.422. [retourner au texte]

14. Ibid., p.651. [retourner au texte]

15. Adapté de Hughes, op.cit., pp.716, 626 et 13. [retourner au texte]

16. Les Chiites pensent que certains versets du Coran ont été supprimés, notamment ceux qui disent que Ali aurait dû être premier Calife. Mais nous n'avons aucune preuve de ce qu'ils avancent. D'ailleurs Ali lui-même n'a jamais porté pareille accusation lorsqu'il devint Calife et qu'il eut la responsabilité de réintégrer ces versets prétendument supprimés dans le Coran. [retourner au texte]