Allégories et histoire

 

Dans un chapitre qui n'a fait qu'aborder des sujets scientifiques, une discussion sur les « fables » pourrait sembler déplacée. Mais nous la maintenons intentionnellement dans cette section parce que « l'histoire précise », mentionnée aussi bien dans la Bible que dans le Coran est une « science » dans son sens le plus large.

Le Dr Bucaille prétend que la Bible, et principalement la Torah-Ancien Testament ne rapporte pas l'Histoire de manière fiable et précise, mais fait état des fables et des résultats de l'imagination des hommes.

A la page 17 de son livre, sous le titre Origine de la Bible il écrit ceci :

«Avant d'être un recueil de Livres, ce fut une tradition populaire qui n'eut d'autre support que la mémoire humaine, agent exclusif à l'origine de la transmission des idées...

« E. Jacob note que ces paroles (lois et récits) étaient transmises soit par la voie familiale, soit par le canal des sanctuaires sous forme de narration de l'histoire du peuple élu de Dieu. Celle-ci devint vite fable comme l'apologue de Jotham (Juges 9.7­21), où « les arbres se mettent en chemin pour oindre leur roi et s'adressent tour à tour à l'olivier, au figuier, à la vigne, au buisson », ce qui permet à E. Jacob d'écrire :

« Animée par la fonction fabulatrice la narration ne s'est pas trouvée embarrassée sur des sujets et époques dont l'histoire était mal connue... »1

L'affirmation que le livre des Juges provient non d'une révélation, mais « d'une fonction fabulatrice » est une affirmation percutante. Car, pour les chrétiens qui croient à la révélation, le livre des Juges, qui contient la « fable » précédemment évoquée, n'en raconte pas moins des faits réels qui se sont produits au 12° siècle av. J.-C., après l'exode et lors de la conquête de Canaan.

A en croire E. Jacob, c'était une époque où l'écriture n'existait pas encore et où « l'histoire devint vite fable » . Mais le lecteur se souvient qu'au chapitre II de la deuxième section, nous avons montré que l'écriture est attestée dans cette région, au moins en 2300 av. J.-C. et que durant le 13e siècle av. J.-C. cinq écritures différentes étaient en usage en Canaan. De toute évidence le grand spécialiste qu'est E. Jacob fait erreur sur ce point.

Examinons de près cette soi-disant « fable » dans son contexte de sorte que le lecteur puisse former son jugement personnel.

D'après Juges 6, Dieu avait donné l'ordre à Gédéon, fils de Joas, de renverser l'autel que son père avait érigé en l'honneur de Baal, une divinité païenne, et de bâtir un autel à l'Eternel, Yahweh Elohim.

Gédéon s'exécuta. Le lendemain les hommes de la ville vinrent trouver le père de Gédéon et lui dirent :

« Fais sortir ton fils et qu'il meure, car il a renversé l'autel de Baal et abattu le poteau d'Achéra qui était dessus. »

Joas répondit :

« Est-ce à vous de plaider la cause de Baal ?... Si Baal est un dieu, qu'il plaide lui-même sa cause, puisqu'on a renversé son autel » (Juges 6.30b-32a).

Les chapitres 7 et 8 rapportent comment Dieu s'est servi de Gédéon aidé de 300 hommes seulement pour semer la panique dans le camp madianite, fort de plus de 100 000 hommes, au point qu'ils s'entre-tuèrent en voulant sortir du camp, en pleine nuit.

Après cette retentissante victoire, Gédéon retourna chez lui à Ophra où il vécut quarante ans. II avait eu soixante-dix fils de ses femmes et un autre, nommé Abimélec, de sa concubine qui vivait à Sichem.

Après la mort de Gédéon, Abimélec s'adressa aux habitants de Sichem en ces termes :

« Vaut-il mieux pour vous que soixante-dix hommes, tous les fils de Jerubbaal, dominent sur vous, ou qu'un seul domine sur vous ? Et souvenez-vous que je suis de vos os et de votre chair » (Juges 9.2).

En entendant ces paroles, les habitants de Sichem décidèrent de suivre Abimélec qui, fort de ce peuple, « vint dans la maison de son père à Ophra et tua ses frères, fils de Jerubbaal - soixante-dix hommes - sur une même pierre. II ne resta que Jotham, le plus jeune fils de Jerubbaal, car il s'était caché. Tous les notables de Sichem et toute la maison de Millo se rassemblèrent et allèrent introniser Abimélec comme roi... » (Juges 9.5-6).

La fable de Jotham

« Jotham en fut informé. Il alla se placer sur le sommet du mont Garizim, et voici ce qu'il leur cria à haute voix :

Ecoutez-moi, notables de Sichem, et que Dieu vous écoute !

Les arbres partirent pour aller oindre un roi à leur tête. Ils dirent à l'olivier : , Règne sur nous. Mais l'olivier leur répondit : Renoncerais-je à mon huile par laquelle grâce à moi, on honore Dieu et les hommes, pour aller me balancer au-dessus des arbres ?

Et les arbres dirent au figuier : Viens, toi, règne sur nous. Mais le vigne leur répondit : Renoncerais-je à ma douceur et à mon excellent fruit, pour aller me balancer au-dessus des arbres ?

Et les arbres dirent à la vigne : Viens, toi, règne sur nous. Mais la vigne leur répondit : Renoncerais-je à mon vin qui réjouit Dieu et les hommes, pour aller me balancer au-dessus des arbres ?

Alors tous les arbres dirent au buisson d'épines : Viens, toi, règne sur nous. Et le buisson d'épines répondit aux arbres : Si c'est de bonne foi que vous voulez me donner l'onction comme roi sur vous, venez, réfugiez-vous sous mon ombrage ; sinon, un feu sortira du buisson d'épines et dévorera les cèdres du Liban.

Maintenant, est-ce de bonne foi et avec intégrité que vous avez agi en proclamant roi Abimélec ? Avez-vous usé de bonté envers Jerubbaal et sa maison ? L'avez-vous traité selon la valeur de ses actes ? Car mon père a combattu pour vous, il a exposé sa vie au front, et il vous a délivré de la main de Madian ; et vous, vous vous êtes levés contre la maison de mon père aujourd'hui, vous avez tué ses fils - soixante-dix hommes - sur une même pierre, et vous avez proclamé roi sur les notables de Sichem Abimélec, fils de sa servante, parce qu'il est votre frère.

Si c'est de bonne foi et avec intégrité qu'en ce jour vous avez agi envers Jerubbaal et sa maison, qu'Abimélec fasse votre joie, et que vous fassiez la sienne ! Sinon, qu'un feu sorte d'Abimélec et dévore les notables de Sichem et la maison de Millo et qu'un feu sorte des notables de Sichem et de la maison de Millo et dévore Abimélec !

Jotham se retira et prit la fuite ; il s'en alla à Beer où il demeura loin d'Abimélec , son frère » (Juges 9.7-21).

Dans ce même chapitre 9, nous apprenons que trois ans plus tard, Abimélec fit passer au fil de l'épée tous les hommes de Sichem, puis

« il renversa la ville, et y sema du sel ». Quelques jours s'écoulèrent et Abimélec lui-même fut tué par une femme qui lança sur sa tête un morceau de meule de moulin. La prophétie de Jotham s'était accomplie (Juges 9.45-57).

Posons-nous la question : ce récit est-il une fable au sens « d'histoire devenue fable » ?

Le dictionnaire Larousse définit ainsi la fable :

  • a) apologue, récit allégorique, le plus souvent en vers, d'où l'on tire une moralité ;

  • b) récit faux, imaginaire.

De toute évidence, la fable proposée par Jotham comporte un enseignement moral. C'est donc bien une fable, en vertu de la première définition. Mais ce récit n'est pas « histoire devenue fable ». La fable est incluse dans le récit, mais reste dictincte de l'histoire proprement dite.

Quand le Dr Bucaille se sert du mot « fable », en citant E. Jacob et assimilant la Torah-Ancien Testament à la Chanson de Roland, il donne au mot « fable » la deuxième définition. Il affirme que ces récits n'ont pratiquement aucune valeur historique. Mais s'il peut lancer de telles affirmations, c'est parce qu'en Europe si peu de lecteurs sont familiarisés avec la Bible pour pouvoir réfuter ses arguments. Dans le récit qui nous occupe, il est clair que Jotham, le fils survivant, se sert de la parabole pour déclarer que ceux qui ont exterminé ses frères s'extermineront eux-mêmes. Assimiler ce qui est « fable » dans ce récit à un « mythe » est une grossière erreur.

La véracité de ce récit a été confirmée par l'archéologie. Voici ce qu'écrivait, en 1968, le Dr Siegfried H. Horn, professeur d'Archéologie à l'Université d'Andrews, à Berrien Springs, dans le Michigan :

« J'aimerais apporter mon témoignage personnel sur les découvertes archéologiques de Sichem car j'ai participé aux fouilles. Les recherches entreprises à Sichem en 1960 ont révélé que la ville et son grand temple de Baal avaient été détruits au 12° siècle av. J -C. C'est précisément l'époque à laquelle la Bible assigne la destruction de la ville par Abimélec, le fils du juge Gédéon.

Les vestiges archéologiques - tessons de poterie - permettent de fixer la date de cette destruction vers 1150 av. J.-C. La concordance entre ces deux dates, l'une tirée de l'histoire biblique, l'autre des conclusions archéologiques, pourrait difficilement être plus totale. »2

Récits historiques dans le Coran : fables ?

Salomon et la reine de Saba (Sheba)

Le récit se trouve dans la Sourate des Fourmis (Al Nam1 ) 27.15-44, de la période mecquoise intermédiaire :

« Et très certainement Nous avons apporté de la science à David et à Salomon ; et tous deux dirent : Louange à Dieu qui nous a donné excellence sur beaucoup de ses esclaves croyants !

Et Salomon hérita de David, et dit : Ho, les gens ! On nous a appris la langue des oiseaux ; et de toutes choses on nous a donné. Voilà bien là, vraiment, la grâce évidente !

Et furent rassemblés pour Salomon, ses armées de djinns et d'hommes et d'oiseaux ; puis, tous furent rangés. Puis, quand ils vinrent à la vallée des Fourmis , une fourmi dit : Ho, les fourmis, entrez dans vos demeures, afin qu'inconsciemment Salomon et ses armées ne vous écrasent pas sous leurs pieds.

A ces mots, il rit d'un sourire et dit : Dispose-moi, Seigneur, à rendre grâces pour le bienfait dont Tu m'as comblé ainsi que mes père et mère, et que j'oeuvre le bien que Tu agrées ; et fais-moi entrer, par Ta miséricorde, parmi les gens de bien Tes esclaves.

Et il passa en revue les oiseaux, puis il dit : Qu'ai-je à ne pas voir la huppe ? Est­elle des absents ? Très certainement je la châtierai d'un grand châtiment ! Ou très certainement l'égorgerai ! Ou bien elle m'apportera une raison évidente.

Mais elle n'était pas restée loin. Elle dit en effet : J'ai cerné ce que tu n'as point cerné ; et j'apporte de Saba une nouvelle certaine : Oui, j'ai trouvé qu'une femme y règne cependant que de toutes choses il lui a été donné ; et elle a un énorme trône. Je l'ai trouvée, - et son peuple - se prosternant devant le soleil au lieu de Dieu. Le Diable leur a enjolivé leurs actions : il les a donc empêchés du Sentier, et donc, ils ne se guident pas !

Que ne se prosternent-ils devant Dieu, qui fait sortir ce qui est caché dans les cieux et la terre, et qui sait ce que vous cachez et aussi ce que vous divulguez ? Dieu ! Point de Dieu, que Lui, le Seigneur de l'énorme trône !

Alors, Salomon dit : Nous allons voir si tu dis la vérité ou si tu es du nombre des menteuses. Va avec cette lettre de moi ; puis, lance-la leur ; ensuite, tourne-leur le dos, et regarde ce qu'ils feront en retour.

Or la reine dit : Cohorte de grands ! Une noble lettre m'a été lancée. Oui, elle vient de Salomon ; et, en vérité, la voici : Au nom de Dieu, le Très Miséricordieux ,

le Tout Miséricordieux, ne faites pas les hautains avec moi, et venez à moi en soumis. Elle dit : Cohorte de grands ! Répondez-moi sur cet ordre de moi : je ne déciderai d'ordre, que vous ne soyez présents.

Ils dirent : Nous sommes détenteurs de force et détenteurs de grande rigueur. L'ordre, cependant, t'appartient. Regarde donc ce que tu veux ordonner.

Elle dit : Les rois, à la vérité, quand ils entrent dans une cité, y mettent le désordre, et font de ses plus puissants habitants les plus humbles. Ainsi agissent-ils. Oui, je vais leur envoyer un présent, puis je verrai ce que les envoyés ramèneront.

Puis, lorsque le messager y fut, Salomon dit : Est-ce avec quelques biens que vous voulez me venir en aide ? Alors que ce que Dieu m'a apporté est meilleur que ce qu'Il vous a apporté ! Non, mais c'est vous qui exultez de votre présent !

Retourne chez eux. Puis nous leur viendrons très certainement avec des armées contre quoi ils n'auront pas de résistance, et les expulserons de là très certainement ,

tout humbles, cependant qu'eux-mêmes se feront petits.

Puis : Cohortes de grands ! Qui de vous m'apportera son trône avant qu'ils ne viennent à moi en Soumis ?

Un éfrit de djinn dit : Je te l'apporterai avant que tu ne te lèves de ta place : la dessus je suis fort, certes oui, digne de confiance !

Un chez qui se trouvait quelque science du Livre dit : Je te l'apporterai avant que tu aies rouvert l'oeil. Quand, ensuite, Salomon le vit se poser près de lui, il dit : C'est d'une grâce de mon Seigneur, pour éprouver si je suis reconnaissant ou si je suis ingrat. Or quiconque est reconnaissant, c'est pour lui-même qu'il est reconnaissant, et quiconque est ingrat... alors oui, mon Seigneur est au large, noble !

Et encore : Rendez-lui méconnaissable son trône : nous allons voir si elle se guide ou si elle est de ceux qui ne se guident pas.

Quand elle fut venue, on lui dit : Etait-il ainsi de ton trône ? Elle dit : C'est comme si c'était lui. Science nous a d'avance été donnée ; et nous nous sommes soumis. Or ce qu'elle adorait en dehors de Dieu l'empêchait ; oui, elle faisait partie d'un peuple mécréant.

On lui dit : Entre dans la tour. Puis, quand elle la vit, elle la compta pour une eau profonde, - et elle se découvrit bien les tibias ! - Alors Salomon dit : Non ceci est une tour, que des verres font miroiter.

Elle dit : Seigneur, je me manquais à moi-même : je me soumets, en compagnie de Salomon, à Dieu, Seigneur des mondes. »

Que dire d'un tel récit qui fait parler les oiseaux et les fourmis, qui fait intervenir des géants et des djinns, et qui propulse le trône en « un clin d'oeil » ?

Hamidullah a précisé dans une note qu'un éfrit est « une espèce de diable malfaisant que l'on rencontre dans maint récit fabuleux » . L'adjectif « fabuleux » , contrairement au nom, ne connaît qu'un seul sens : imaginaire, mythique, extraordinaire, chimère.

Que nous dit la Bible au sujet de Salomon en relation avec les animaux et les oiseaux ?

« Il (Salomon) a parlé sur les arbres, depuis le cèdre du Liban jusqu'à l'hysope qui sort du mur ; il a aussi parlé sur les bêtes, sur les oiseaux, sur les reptiles et sur les poissons. On venait de tous les peuples pour entendre la sagesse de Salomon... » (1 Rois 5.13-14a).

Dans son livre, L'homme d'où vient-il, le Dr Bucaille écrit :

« De plus, je n'ai trouvé dans le texte du Coran aucune allusion à des mythes ou superstitions du temps de sa communication aux hommes, comme on en trouve dans la Bible sous la plume d'auteurs y parlant le langage de leur époque. » 3

Le lecteur musulman placerait probablement le récit que nous avons extrait du Coran sous la rubrique : « fable avec enseignement moral » . Mais il ne semble pas que le Coran lui-même présente ainsi ce récit. Il est vrai que la narration est chargée d'un enseignement moral ; cependant, les conversations et les faits du récit proprement dit, ainsi que ceux qui le précèdent et ceux qui le suivent, sont présentés comme des éléments d'une histoire vraie.

Le récit de Moïse et du buisson ardent, rapporté dans la même Sourate, juste avant celui de Salomon et de la reine de Saba, est considéré comme une histoire vraie, aussi bien dans cette Sourate qu'ailleurs dans le Coran.

Les récits de Sâlih se rendant vers les Thamoud et de Lot s'adressant à son peuple, récits qui font suite à celui de Salomon et de la reine de Saba apparaissent dans cette Sourate comme des histoires vraies.

Ajoutons encore que les versets 59 à 66 font appel à la nature pour prouver la grandeur de Dieu ; il y est notamment fait allusion à la « barrière » entre deux sortes d'eaux, texte auquel le Dr Bucaille fait référence comme preuve de la préconnaissance de la science que possède le Coran.

Dans le récit de Yotam que nous avons rapporté plus haut, il y a un changement bien clair entre les différentes parties du récit, entre le compte-rendu historique de la mort des 70 frères de Yotam et sa parabole des arbres.

Le narrateur et ses auditeurs savaient qu'il s'agissait d'une parabole chargée d'une leçon morale. Le récit coranique de Salomon et de la reine de Saba s'inscrit dans un contexte d'histoires racontées, sans la moindre indication de changement de genre littéraire.

De plus, on peut se demander pourquoi le Dr Bucaille, si empressé de trouver des « sources » aux récits bibliques n'a pas adopté la même attitude en face de ces récits coraniques. Il aurait trouvé une mine de renseignements dans des ouvrages tels que The Sources of lslam de St. Clair-Tisdall. Il aurait appris que ce récit s'était répété parmi les juifs et qu'il était rapporté dans le 2e Targum du livre d'Esther qui ajoute que la reine avait des jambes aussi poilues que celle d'un homme. Ce détail, non rapporté dans le Coran est pourtant inclus dans les traditions musulmanes de l'Araish a1 Majalis4.

La mort de Salomon

Dans le cadre de cette section, examinons aussi le récit de la mort de Salomon telle qu'elle est rapportée dans la Sourate de Sabâ' 34.12-14, de la période mecquoise primitive :

« Et pour lui (Salomon) Nous avons fait couler la source de cuivre. Et des djinns travaillaient sous ses mains, par permission de son Seigneur. Quiconque d'entre eux, cependant, eût dévié Notre ordre, Nous l'eussions fait goûter au châtiment de l'enfer-Saïr.

Ils oeuvraient pour ce qu'il voulait... Puis quand Nous eûmes pour lui décidé de la mort, il n'y eut pour les avertir de sa mort que la « bête de la terre » laquelle rongea sa houlette. Puis, lorsqu'il tomba, les djinns eurent la preuve que s'ils avaient su l'invisible, ils ne seraient pas demeurés dans le châtiment avilissant. »

Résumons. Le grand roi Salomon, appuyé sur sa houlette, surveille les djinns, comme un contremaître les cantonniers en train de réparer une route. Il meurt, appuyé sur son bâton. Aucun des serviteurs qui lui préparaient les repas, aucun des généraux qui venaient chercher ses directives, aucun de ses courtisans, aucune de ses huppes, personne ni rien ne prête la moindre attention à sa mort, jusqu'à ce qu'un vermisseau ronge sa houlette et que le cadavre s'étende de tout son long sur le plancher !

Quels mots emploierait le Dr Bucaille pour décrire ce récit, s'il se trouvait dans la Bible ? I1 parlerait de l'invraisemblance de ce passage. Il le qualifierait de « fantasmagorie » 5, « art de faire apparaître des spectres, des fantômes, par des illusions d'optique » (Larousse).

Face à ce récit, comment se présente la narration biblique ?

Dans 1 Rois 5.29-30, il est écrit :

« Salomon avait encore 70 000 manoeuvres et 80 000 tailleurs de pierre dans la montagne, sans compter les chefs des préfets de Salomon, préposés aux travaux : 3 300 qui exerçaient leur autorité sur ceux qui exécutaient les travaux. »

Mais l'obstacle majeur que présente ce texte coranique, c'est l'image qu'il donne de Dieu. Est-il concevable que le Dieu Tout-Puissant, Créateur des cieux et de la terre et de tout ce qu'ils renferment, puisse faire travailler les djinns en les mystifiant ?

La même question surgit à propos de la crucifixion de Jésus. Est-il concevable que le Dieu grand et glorieux, qui est appelé « la Vérité » puisse faire croire à « un semblant » de crucifixion ?

Dans la Sourate de la famille d'Amram (Al `Imrân) 3.52-53, de l'an 2 ou 3 de l'Hégire il est clairement dit que les disciples de Jésus croyaient en lui.

Le verset 54 poursuit ainsi :

« Les fils d'Israël rusèrent contre Jésus. Dieu ruse aussi ; Dieu est le meilleur de ceux qui rusent » (trad. D. Masson).

Le mot « ruser » (makir ) est un mot très fort que Wehr et Abdel-Nour définissent comme « sournois », « hypocrite », « astucieux », « malin » 6. Le Munjid arabe-arabe le définit par le mot khuda`a qui a exactement le même sens.

D'a près l'Evangile les chefs juifs ont rusé pour arrêter Jésus en secret, de manière à éviter des troubles. Mais pourquoi Dieu leur permettrait-il de penser qu'ils ont réussi dans leur entreprise ? Et pourquoi se désignerait-il lui-même comme « le meilleur de ceux qui rusent » en enlevant Jésus secrètement ? Ce comportement trompe aussi les plus intimes disciples de Jésus, ces disciples que le Coran se plaît à présenter comme « ceux qui croyaient en lui ». Est-il concevable que le Dieu Vrai puisse agir ainsi ?

Les descriptions « incroyables » de Matthieu

Dans le chapitre intitulé Les quatre évangiles, leurs sources, leur histoire à la page 70, le Dr Bucaille écrit ceci :

« I1 (Matthieu) insère dans son livre des récits à proprement parler incroyables. »7

Examinons l'un de ces passages qualifiés d'« incroyable ». Dans l'Evangile selon Matthieu, en 27.50-53, nous lisons :

« Jésus poussa de nouveau un cri d'une voix forte et rendit l'esprit. Et voici, le voile du temple se déchira en deux du haut en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s'ouvrirent et les corps de plusieurs saints qui étaient décédés ressuscitèrent. Ils sortirent des tombeaux, entrèrent dans la ville sainte, après la résurrection de Jésus et apparurent à un grand nombre de personnes. »

Le Dr Bucaille reproche d'abord à ce récit « de n'avoir pas son pareil dans les autres évangiles ». C'est vrai. Mais le même reproche peut s'adresser au Coran qui ne dit qu'une seule fois, dans une seule Sourate, que Jésus ne mourut pas.

Deuxième critique : « On voit mal comment les corps des saints en question aient pu ressusciter lors de la mort de Jésus (la veille du sabbat, disent les évangiles) et ne sortir de leurs tombeaux qu'après sa résurrection (le lendemain du sabbat, selon les mêmes sources).» Que répondre ? Malgré l'impression « d'incroyable » que laisse ce récit, nous devons accorder le bénéfice du doute à l'auteur. Matthieu n'avait sans doute pas l'intention de nous faire croire que ceux qui étaient ressuscités étaient restés assis dans leurs tombes froides, grelottant du vendredi au dimanche matin.

Je suis persuadé que l'évangéliste a voulu faire comprendre à ses lecteurs que les tombes se sont ouvertes le vendredi, mais que les corps ont été ressuscités le dimanche matin, en même temps que celui du Christ, comme preuve de sa grande victoire sur la mort.

Quoi qu'il en soit, comparé à l'histoire de Salomon et ses oiseaux-parlant et ses « efrits de djinns », ou à la narration de son corps appuyé sur sa houlette, le récit biblique est un joyau de précision, digne du 20e siècle.

La façon dont le Dr Bucaille analyse ce récit est indigne de lui.

La vérité est la suivante : bien que la révélation se soit faite dans la Torah-Ancien Testament et dans l'Evangile-Nouveau Testament dans les termes caractéristiques des cultures et des peuples qui l'ont écrite et reçue, l'inspiration divine par le Saint-Esprit a préservé les prophètes de l'Ancien Testament et les disciples de Jésus d'y inclure les idées mythologiques grotesques et le polythéisme des Babyloniens, des Grecs et des Romains.

Conclusion

Tout au long de ce chapitre, nous avons vu comment le Dr Bucaille et d'autres se sont servis de présupposés pour concilier les divergences internes du Coran. Le Dr Bucaille doit accorder le même droit et la même liberté à ceux qui aiment la Torah-Ancien Testament et l'Evangile-Nouveau Testament.

Lorsque des chrétiens suggèrent que Matthieu fait remonter la généalogie de Jésus par Joseph, et Luc par Marie, chacun est libre de penser que cette explication n'est pas convaincante. Mais le Dr Bucaille est mal placé pour accuser les chrétiens d'être aveugles et d'employer des moyens détournés en faisant de tels présupposés dans leur but de surmonter une difficulté, car lui-même a adopté de nombreux présupposés dans son ouvrage.

Prétendre que les chrétiens ont refusé d'admettre qu'il y avait un problème n'est même pas juste historiquement parlant. Eusèbe de Césarée (265-339), l'évêque chrétien de Palestine et auteur d'une « Histoire de l'Eglise », a mentionné ce problème et a propose la solution indiquée plus haut.

Si le Dr Bucaille se fait un point d'honneur d'avoir appris l'arabe pour pouvoir lire le Coran dans l'original, alors il a certainement lu le passage de la Sourate de l'Araignée (AI `Ankabüt) 29.14 qui déclare :

« Et très certainement, Nous avons envoyé Noé vers son peuple. Il demeura donc chez eux mille ans moins cinquante années... »

Pourquoi, alors, écrit-il :

« on sait que ces généalogies (bibliques) prêtent à Abraham et a ses dix-neuf ancêtres jusqu'à Adam des durées de vie incroyablement longues, qui vont jusqu'à 969 ans pour Methuschélah... » 8

Si « 969 ans » est une durée de vie incroyable pour la Bible, une durée de vie de « 950 ans » l'est aussi pour le Coran ; si on peut croire aux « 950 ans » du Coran, on peut aussi croire aux « 969 ans » de la Bible. Nous devons conserver le même système d'appréciation pour les deux livres.

Nous n'avons pas pour autant résolu parfaitement le problème de la généalogie qui remonte à Adam. Dans son livre Révélation des Origines, Henri Blocher consacre trois pages à présenter et à discuter quatre stratégies possibles en faisant remarquer : « Elles ont toutes leurs inconvénients, et ainsi le problème reste posé ,».9

Mais, compte tenu de toutes les preuves archéologiques en faveur de l'historicité de la Torah et de l'Evangile, compte tenu des miracles accomplis par Jésus et des prophéties réalisées - et qui confirment la véracité de l'Evangile, il est prudent d'attendre que de futures études et de futures découvertes viennent combler nos lacunes présentes. En 1947, nul n'aurait imaginé un seul instant qu'en 1948 on découvrirait des fragments du Lévitique (un des livres de la Torah de Moïse), recopiés plus de 200 ans avant que Jésus le Messie ne vienne fouler le sol de notre terre, et parfaitement identiques à ceux de la Torah « qui est entre nos mains » aujourd'hui. Ces fragments prouvent clairement que la Torah n'a jamais été altérée.

 

 


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1Bucaille, La Bible, le Coran et la Science, p. 17.[retourner au texte]

2Récente contribution à l'étude de l'A.T , Christianity Today, 21 juin 1968, p.15.[retourner au texte]

3Bucaille, L'homme, p. 161.[retourner au texte]

4Op. cit. Voir texte, T. & T. Clark, 38 George St. Edinburgh ; réimpression par Birmingham Bible Institut

Press, Birmingham, pp. 24-29.[retourner au texte]

5Bucaille, La Bible, le Coran et la Science, p. 239.[retourner au texte]

6Wehr, op. cit., p. 917. [retourner au texte]

7Bucaille, op. cit., p. 70.[retourner au texte]

8Bucaille, L'homme, p. 153.[retourner au texte]

9Op. cit. , dans le texte, pp. 228-230.[retourner au texte]